Les entreprises du 21ème siècle ne sont pas encore nées

L’année prochaine, 2020. Nous aurons consommé 20% de notre siècle et 2% de notre millénaire. Et je pense que la croyance selon laquelle ce premier morceau de siècle a fait émerger les entreprises qui feront date lorsque nous serons en 2100 est fausse. Je pense aux GAFA bien sûr, qui ne sont pas dimensionnés pour affronter notre siècle : celui du climat et des enjeux sociétaux mondiaux. En 2100, il fera peut-être +7°C sur notre bonne vieille Terre et nous allons vivre des migrations forcées, des inégalités nouvelles, une dynamique démocratique que nous ne pouvons qu’imaginer à ce jour, car le défi climatique va nous ramener à notre premier statut, celui d’espèce du vivant. Pour permettre à notre économie et nos sociétés de continuer à avancer, l’opportunité juridique et stratégique que constituent la loi PACTE et le statut d’entreprise à mission rappelle aux entreprises que se doter d’une raison d’être n’est plus un luxe.

Raison d’être, vision, mission, sens, ADN, valeurs… Les mots ne manquent plus pour qualifier et revendiquer l’impact positif qu’une entreprise peut (doit maintenant ?) avoir sur le monde. Une question évidente se pose : les organisations privées et publiques sauront-elles transformer l’essai en allant au-delà de la communication ?

L’illusion d’optique des “Early Adopters” de la raison d’être

La dynamique des entreprises à mission ou dotée d’une raison d’être est déjà initiée et continue de se renforcer. La raison d’être est devenue une priorité stratégique de premier plan pour les dirigeants. Nous vivons un balbutiement, celui de l’apparition des premières entreprises qui se révèlent par ces nouveaux statuts et le revendiquent. Cependant, il y a fort à parier que les entreprises qui cochent actuellement les cases de cette nouvelle norme n’ont pas attendu la création de ces statuts pour exercer leur stratégie et leur leadership de manière positive et responsable ! Nous assistons à une première vague attendue : la reconnaissance des organisations qui sont de fait éligibles à cette nouvelle norme, qui ont toujours fonctionné comme tel et n’ont pas eu besoin de (beaucoup) changer pour obtenir cette preuve de bonne conduite. L’impact de ces nouvelles normes n’arrivera que si la seconde vague se déclare rapidement : celle des organisations dont les dirigeants décident de changer de modèle pour devenir cette nouvelle nature d’entreprise. Ce nouveau modèle que le 21ème siècle doit voir naître.

Qui seront les entreprises du 21ème siècle ?

Ce sont ces organisations qui sauront “faire le switch” comme le dit l’expression répandue. Celles qui sauront accepter de changer plus radicalement si ce modèle vertueux n’est pas leur modèle d’origine. Pour les reconnaître, plusieurs marqueurs peuvent être utilisés : 

  • des dirigeants qui osent bousculer les conventions et la bien pensance stratégique en misant sur un marché dénigré,  tuant une vache à lait, faisant changer de métier la moitié de leurs salariés… 
  • un management dont la plasticité est native, avec des décideurs et des managers passionnés de changement et d’apprentissage…
  • une intégration entre les enjeux internes et externes de l’entreprise,  avec la conscience que les salariés et les clients sont d’abord des citoyens d’un monde qui se libère…
  • et enfin, des raisonnements stratégiques qui mêlent expertise et humanité en incluant, au-delà de l’analytique, l’influence des individus que sont ces citoyens, ces clients et ces salariés dans la balance. 

Car une entreprise sans femme et sans homme ne peut subsister, et une entreprise sans âme et sans imagination ne passera vraisemblablement pas ce cap de 2100.

Je constate par exemple que dans toutes les concertations d’entreprise de grande ampleur que nous avons pu accompagner chez bluenove, la proposition d’un nouveau modèle à impact positif est un sujet qui apparaît de façon spontanée et massive de la part des salariés et des usagers. Tous les débats stratégiques que nous avons vécus ont nourri la réflexion et la planification des dirigeants sur ce sujet… qu’il soit prévu à l’agenda de départ ou non. Aussi, cette seconde vague d’entreprises responsables à venir est peut-être déjà identifiable : c’est celle des entreprises qui mobilisent toutes leurs forces collectives pour préparer un autre après. Elles ont compris qu’elles gagneraient plus que jamais à s’appuyer sur le pouvoir transformant de ses foules : ses salariés, ses utilisateurs, tous plus prêts encore que le management à s’engager dans un nouveau modèle.

L’exemple de DECATHLON 

Decathlon fait partie des organisations qui inspirent, parmi ces entreprises capables de mobiliser des dizaines de milliers de personnes pour co-construire leur stratégie avec une voix directe et libre pour chacun. Decathlon enclenche ainsi cette année une telle initiative.

  • Decathlon : ce sont 90 000 salariés et des millions de clients qui vont être invités à contribuer à l’élaboration de la vision 2030 de Decathlon d’ici l’été 2020. L’audace de Decathlon : donner toute l’autonomie aux 400 villes dans lesquelles la marque est implantée. Chaque ville va mobiliser localement toutes ses parties prenantes en présentiel et en ligne… et écrire sa propre vision. Le groupe devient le fédérateur d’un socle commun, composé d’imaginaires et de valeurs communs que l’analyse révèlera, mais aussi animateur de dissensus en autorisant chacune des 100 marques et des 400 villes du groupe à disposer de leur propre vision et actions.

Effectivement, comment nier que la raison d’être doit d’abord être l’objet d’un imaginaire partagé et désirable avant de devenir action ? Et quelle formidable opportunité de capitaliser sur les spécificités de chacun, d’animer et aligner ces clivages qui cohabitent au sein d’une organisation. Assumons que le siècle à venir sera darwinien, les entreprises du 21ème siècle sont celles qui donneront un nouveau pouvoir à leur Direction de la stratégie : celui de construire par la multitude.