Comment réussir sa démarche d’intelligence collective massive ?

Collaboration, co-construction, engagement des collaborateurs : de nouvelles manières de travailler et d’impliquer les équipes fleurissent dans les organisations. Une tendance qui correspond à une attente forte des salariés de se sentir acteurs et partie prenante effective de la stratégie de la structure à laquelle ils appartiennent.

Comme l’énonce Stéphane Boullay, Directeur de la Transformation et de l’Immobilier du Crédit Agricole Toulouse 31 : “La réussite de la mise en œuvre d’une participation collective à la construction d’un futur commun ne se décrète pas et passe par des pré-requis pouvant parfois être longs à mettre en place.Alors, comment réussir une consultation d’intelligence collective massive ? Martin Duval, co-fondateur de bluenove, pose la question à Stéphane Boullay.

Martin Duval : Quel est le rôle des dirigeants dans la mise en place d’une démarche d’intelligence Collective ?

Stéphane Boullay : Pour arriver à un résultat concret en matière d’intelligence collective massive, les dirigeants ont un véritable rôle clé. En effet, construire l’avenir de son organisation à plusieurs centaines ou plusieurs milliers ne se décrète pas, mais provient d’une démarche préalable, déjà engagée en amont, parfois depuis plusieurs années. Il convient par ailleurs que les dirigeants soient alignés sur le bien-fondé d’une démarche d’intelligence collective : cette dernière doit donc être partagée, acceptée, soutenue et promue par les dirigeants de l’entreprise. Cela entraîne des conséquences non neutres sur l’organisation, puisque que cela remet en cause la verticalité habituelle des décisions et du fonctionnement de celle-ci. Dès lors, ce « lâcher prise » à opérer pour les dirigeants quant à la construction de la stratégie future de l’organisation doit à mon sens s’opérer en plusieurs étapes.

M.D : Comment fédérer l’ensemble des parties prenantes d’une entreprise autour de cette démarche ?

S.B : Tout d’abord, cette démarche doit s’appuyer sur les dirigeants, qui doivent porter le sens de la transformation auprès de leurs co-équipiers. Ainsi, le message de la mise en place d’une démarche d’intelligence collective doit être porté par la Direction Générale, mais également d’une voix unanime par tous les membres du Comité de Direction. Il doit aussi être diffusé, répété, affiné, adapté selon les publics dans la durée pour faciliter la compréhension et l’adhésion de tous. Enfin, il doit embarquer le management supérieur et intermédiaire qui pourrait se sentir dépossédé d’attributions, qui par le passé lui étaient confiées et qui pourrait craindre une désorganisation de leurs activités. Ce dernier point est à mon sens le plus délicat à traiter. En effet, il nécessite de la pédagogie, des temps d’échanges individuels et collectifs entre les dirigeants et le management pour organiser le fonctionnement d’une démarche d’intelligence collective, sans perturber les activités des services ou entités. Au final, cela nécessite davantage de planification dans le fonctionnement des équipes et des engagements des participants aux projets collectifs.

M.D : Selon vous, quelles sont les règles à suivre pour intégrer pleinement une démarche d’Intelligence Collective dans une organisation ?

S.B : Pour optimiser la mise en place d’une telle démarche, il convient d’installer dans l’entreprise de nouveaux modes de fonctionnement, tels que :

  • Des appels à candidatures internes sur base de volontariat pour participer à la construction des projets
  • La conduite des projets par des non sachants ou des non managers
  • La définition et l’installation de règles claires sur le temps d’exploration accordé aux collaborateurs et la mise en œuvre d’un pilotage au sein de l’organisation
  • La consultation régulière des co-équipiers sur des thématiques propre à l’entreprise via un réseau social interne ou une plateforme d’idéation
  • L’intégration de la « vision client » dans tous les projets (participation ou consultation des clients dans des séquences de travail)
  • La mise en place d’une gouvernance de pilotage et d’animation des projets (Comité de Pilotage, responsable coordination de projets, …)
  • L’accompagnement des projets par un Directeur Sponsor exigeant et bienveillant
  • La présentation de tous les projets en Comité de Direction ou dans des instances décisionnelles.

Outre ces nouvelles règles, d’autres éléments sont à prendre en considération pour intégrer une démarche de construction collaborative dans une organisation :

  • La communication sur l’avancée et les réalisations concrètes issues des projets pour renforcer le sens
  • La création d’une méthodologie projet unique, intégrant plusieurs briques / modes d’animation selon la complexité des chantiers à conduire
  • La formation des responsables de projets à la méthodologie projet et aux modes d’animations
  • L’investissement dans des outils de pilotage de projet simples, ergonomiques et fluides ou dans une plateforme d’idéation

M.D : Pour le Crédit Agricole Toulouse 31, quelles ont été les étapes préalables à une démarche d’intelligence collective massive ?

S.B : Nous pouvons constater qu’une telle transformation de fonctionnement d’une organisation ne peut s’opérer en mode « big bang » : elle doit être portée au plus haut niveau, s’inscrire dans la stratégie et dans les valeurs, et s’installer dans la durée pour faire ses preuves et libérer la parole et les énergies. A titre d’illustration, cette première étape, indispensable avant de passer à une démarche d’intelligence collective massive, nous aura pris trois années avec des résultats concrets très positifs :

  • Lors de la construction de notre précédent projet d’entreprise : 800 collaborateurs ont contribué à la réflexion, soit 60 % d’engagement. De plus, lors de sa mise en œuvre, 400 collaborateurs ont participé aux groupes de travail de nos 47 projets.
  • Lors de l’installation de notre dispositif d’innovation interne, 1 000 collaborateurs ont contribué à la journée de lancement et posté 2 300 idées sur 4 thématiques prédéfinies. Deux années après, nous recueillons environ 200 idées d’innovation par an et une trentaine de projets ont émergé.

M.D : Qu’est-ce qui vous a poussé à aller encore plus loin en 2019  ? 

S.B : La mise en place de ces nouvelles méthodes de travail nous ont permis de constater que nous étions très centrés sur nous-mêmes, donc peu ouverts à ce qu’il se passait à l’extérieur dans d’autres industries en matière de transformation. Nous avons également mis en évidence que la digitalisation et l’intelligence artificielle venaient nourrir les démarches d’intelligence collective ; mais également que de nouvelles méthodes d’animation émergeaient fortement avec des résultats probants (design thinking, lean startup…) et que les co-équipiers souhaitaient être encore davantage associés au futur de l’organisation. Dans un contexte où les citoyens recherchent une plus grande écoute et une plus grande participation à la construction de l’avenir, où le désengagement de l’Etat dans les territoires conduit les citoyens à finalement se retourner de plus en plus vers les entreprises, où la loi PACTE propose désormais la possibilité d’insérer la notion de « mission » dans les statuts des entreprises, et où les nouvelles générations veulent se sentir acteurs de leur devenir, nous avons décidé d’intégrer ces nouveaux intrants pour préparer le futur.

M.D : En 2019, vous avez donc choisir de mettre en place un dispositif de co-construction massif : Inventons 2024. Comment est né ce projet ?

S.B : Suite au constat énoncé plus haut, nous nous sommes interrogés sur notre raison d’être. Nous avons alors déterminé une vision d’utilité plus large à nos missions actuelles, en nous positionnant comme un acteur du territoire de demain, créateur de liens pour tous et non simplement pour nos clients. Nous avons pris le parti de co-construire le projet d’entreprise à horizon 2024 avec l’ensemble de nos co-équipiers, administrateurs et clients sociétaires, à travers un format hybride, physique et digital. Nous avons ouvert l’exploration des sept thématiques (prédéfinies par le Comité de Direction, le management supérieur, le Conseil d’Administration, des jeunes talents de l’entreprise) à travers une aventure collective pour imaginer ensemble des projets qui nous ressemblent et que nous relèverons d’ici 2024 !

M.D : Quelle méthode avez-vous utilisée dans le cadre du projet “Inventons 2024” ?

S.B : Avec l’appui de bluenove et Springlab, nous avons construit une méthode :

  • HYBRIDE (PHYSIQUE & DIGITALE), en capitalisant sur une plateforme d’intelligence collective massive et des grands temps forts présentiels.
  • OUVERTE & CENTRÉE SUR NOS UTILISATEURS, pour donner la parole à tous : co-équipiers, administrateurs et sociétaires.
  • APPRENANTE & INNOVANTE, en proposant à chaque étape de découvrir des méthodes innovantes ou s’inspirer d’autres entreprises/univers.
  • MOBILISATRICE & ENGAGEANTE, en plaçant la gamification au cœur de la co-construction grâce à un grand jeu collectif.

Différents événements ont également permis aux co-équipiers et administrateurs de partir s’inspirer des meilleures pratiques de l’écosystème, puis de partager leurs idées et solutions en physique et en digital, pour co-construire ensemble ce projet d’entreprise. Ainsi, plus d’une quarantaine d’organisations (Wework, Google, Jo&Joe, Thales Factory…) ont été visitées sous des formats de learning expedition par plus d’une centaine de co-équipiers, pour aller se nourrir et alimenter la phase d’ouverture et d’inspiration.

M.D : Quels ont été les facteurs clés de succès d’Inventons 2024 ?

SB : Ce travail collectif s’est structuré en trois phases, qui ont permis de passer de sujets de réflexion à l’ensemble des orientations stratégiques avec un niveau d’engagement exceptionnellement élevé des parties prenantes internes et externes de l’entreprise. De nombreux éléments multifactoriels permettent également d’expliquer ce niveau d’engagement :

  • Une communication interne, régulière, par tous les canaux : en présentiel dans toutes les réunions managériales, dans les réunions Métiers, en version écrite dans une newsletter hebdomadaire, ainsi que sur notre réseau social d’entreprise « Chatter ».
  • L’animation de la plateforme : notamment avec la mise en place d’un jeu tout au long de la construction. Il donnait notamment la possibilité de contribuer individuellement pour sa propre tribu (agence, service etc…), possédait un système de gamification par points ; avec un affichage hebdomadaire des résultats en collectif et individuellement sur la plateforme ; incitant à challenger ses collègues. Les deux tribus ayant parcouru le maximum de kilomètres ont également été récompensées, lors d’une soirée festive et collective à la fin de la consultation.
  • Une implication de cadres supérieurs de la caisse régionale : par binôme ou trinôme, ils étaient responsables de la mise en œuvre de ces nouvelles méthodes de travail et exerçaient plusieurs rôles : organisateur, teaseur, animateur de la journée, ou encore challenger des idées.
  • Des rebonds systématiques de la Direction Générale à chaque événement de vie de l’entreprise, et une présence de tous les membres du Comité de Direction dans les temps forts.

Concevoir par l’intelligence collective et réussir sa stratégie d’engagement sont des véritables leviers de différenciation à plusieurs niveaux : l’attractivité pour la Marque Employeur, la performance pour la productivité et le développement de nouveaux relais de croissance, et la qualité de l’environnement de travail.